Lorsqu’une entreprise individuelle est florissante, la question de sa transformation en une Sàrl ou une SA ne tarde pas à se poser. Nous allons vous expliquer dans quels cas cette conversion est indiquée et quels sont les aspects à prendre en compte. Nous vous montrerons également à l’aide d’un exemple tiré de la réalité comment éviter certains écueils sur le plan fiscal.
Vous en êtes peut-être au même stade que bon nombre de petits entrepreneurs: après avoir brillamment surmonté les difficultés du début, l’entreprise individuelle que vous avez créée voici quelques années est aujourd’hui en plein essor et commence à se faire une place sur le marché. Autant dire qu’elle aura bientôt atteint les limites inhérentes à sa forme juridique. Soit parce que vous décrochez des contrats de plus en plus importants et ne voulez plus engager votre responsabilité sur votre patrimoine personnel, soit parce que vous souhaitez attirer des partenaires ou recruter des collaborateurs.
Il est donc temps de songer à transformer votre entreprise en une société à responsabilité limitée ou une société anonyme. Voyons ensemble quand cette transformation est possible et qui a intérêt à franchir le pas.
Le saviez-vous? Nous vous accompagnons aussi dans le domaine juridique. Si vous possédez une petite ou très petite entreprise et envisagez une transformation, vous pouvez bénéficier gratuitement de cinq heures de consultation juridique personnalisée dans le cadre de notre assurance de protection juridique pour les entreprises.
Si votre entreprise individuelle prospère depuis plusieurs années, la transformer en une Sàrl ou une SA vous semble peut-être la suite logique.
Mais vous vous posez encore des questions. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Quelle est la forme juridique la mieux adaptée dans mon cas? Pour répondre à ces interrogations, passons en revue les six différences qui distinguent l’entreprise individuelle de la Sàrl ou de la SA et les avantages que vous pouvez retirer d’une telle conversion.
Contrairement à un entrepreneur individuel, vous ne répondez des pertes de la Sàrl ou de la SA dont vous êtes propriétaire qu’à hauteur du capital que vous avez injecté dans la société au moment de sa fondation (Sàrl: CHF 20 000 au minimum, SA: CHF 100 000 au minimum) et non à hauteur de votre patrimoine personnel dans son ensemble. Un principe qui connaît toutefois des exceptions, notamment en ce qui concerne la Sàrl: en cas de manquement à une obligation ou à des règles, votre responsabilité s’étend également à votre patrimoine privé.
Votre avantage: la Sàrl ou la SA présente des risques financiers bien moindres pour vous en tant que particulier, et donc aussi pour vos proches.
À la différence de l’entreprise individuelle, la Sàrl et la SA sont des sujets fiscaux à part entière. Autrement dit, le bénéfice réalisé est considéré séparément. Il n’est pas indiqué sur votre déclaration d’impôts privée ni imposé avec vos autres revenus éventuels.
Votre avantage: le volet privé et le volet professionnel sont strictement séparés sur le plan fiscal ainsi qu’en matière d’obligations administratives et financières.
Lorsque vous êtes propriétaire d’une Sàrl ou d’une SA, votre revenu n’est pas constitué du bénéfice net de l’entreprise, comme dans le cas d’une entreprise individuelle. Vous vous versez un salaire (Sàrl et SA) et vous attribuez le cas échéant un dividende (SA). C’est vous, en votre qualité de propriétaire, qui fixez le montant du salaire et du dividende, sachant qu’ils doivent se situer dans la fourchette habituelle du marché ou de la branche.
Votre avantage: le salaire constant que vous vous versez vous procure une plus grande stabilité et une plus grande visibilité financière dans votre vie privée.
Si, pour l’entreprise individuelle, l’assujettissement à la prévoyance professionnelle est facultative, il n’en va pas de même dans le cas d’une Sàrl ou d’une SA. L’affiliation à une caisse de pension est obligatoire pour le personnel, et donc aussi pour vous-même.
Votre avantage: une fois choisie la bonne solution de caisse de pension, vous ne devez plus vous soucier de quoi que ce soit. Vous assurez «quasi automatiquement» vos vieux jours. De plus, la solution de caisse pension peut s’accompagner d’avantages fiscaux.
Bon à savoir: vous pouvez aussi vous affilier à une institution de prévoyance en tant qu’indépendant (entreprise individuelle), par exemple grâce aux solutions des associations professionnelles. Si vous y renoncez, vous bénéficiez en contrepartie d’un plafond de versement dans le pilier 3a plus élevé («grand pilier 3a»). Autant dire que vous avez intérêt à étudier sérieusement la question et à faire vos calculs. Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à vous entourer des conseils de professionnels.
La Sàrl vous permettra de trouver assez facilement des associés. Et si vous optez pour une SA, vous accueillerez peut-être très bientôt vos premiers actionnaires.
Votre avantage: vous posez d’ores et déjà les jalons de votre future croissance. Car vous pouvez désormais répartir les tâches et les responsabilités entre plusieurs associés et attirer rapidement de nouveaux capitaux dans l’entreprise.
Contrairement à l’entreprise individuelle, la raison sociale de la Sàrl ou de la SA ne doit pas obligatoirement contenir le nom de famille (seule l’extension «SA» ou «Sàrl» est obligatoire).
Votre avantage: vous êtes beaucoup plus libre de choisir le nom de votre entreprise et pouvez ainsi mieux vous positionner sur le marché. En outre, la mention «SA» ou «Sàrl» confère souvent un surcroît de professionnalisme et de sérieux aux yeux de la clientèle.
Pour faire simple: il est impossible, d’un point de vue purement technique, de transformer une entreprise individuelle en une société à responsabilité limitée ou une société anonyme.
Mais même s’il ne s’agit pas officiellement d’une «transformation», il existe dans les faits des solutions pour passer d’une entreprise individuelle à une Sàrl ou une SA.
Il y a apport en nature lorsqu’une entreprise individuelle devient une Sàrl ou une SA en vertu de la loi sur la fusion (autrement dit lorsqu’elle fusionne quasiment avec elle): vous transférez le patrimoine (en tout ou partie) de l’entreprise individuelle à la Sàrl ou à la SA, avec la totalité des actifs et des passifs.
Vous avez intérêt à effectuer un apport en nature si votre entreprise individuelle dégage déjà un bénéfice substantiel et entretient des relations contractuelles avec divers partenaires, fournisseurs et autres. En effet, ces contrats sont transférés à la Sàrl ou à la SA. Vous n’aurez donc pas à les renégocier ou à en signer d’autres.
Seules les entreprises individuelles inscrites au registre du commerce peuvent procéder à une cession d’actifs selon la loi sur la fusion, en d’autres termes à un apport en nature. Ce n’est pas le cas de votre entreprise? Le transfert de patrimoine sera alors un peu plus compliqué, car vous devrez transférer un par un tous les contrats conclus avec des tiers et non d’un seul coup.
Autre solution envisageable: la reprise de biens. Dans ce cas de figure, vous sollicitez la radiation de l’entreprise individuelle et fondez une nouvelle société sous la forme d’une Sàrl ou d’une SA, laquelle rachète les valeurs patrimoniales de votre ancienne entreprise.
Que vous optiez pour l’apport en nature ou pour la reprise de biens, les frais se situent dans une fourchette comprise entre CHF 2000 et CHF 5000, voire plus si la fondation de la nouvelle société apparaît compliquée.
Vous l’aurez compris: toute transformation d’entreprise doit être mûrement réfléchie et bien préparée. Pour vous faciliter la tâche, n’hésitez pas à consulter un professionnel. Nous nous ferons un plaisir de vous aider.
Vous avez à présent fait le tour des avantages que peut vous procurer la transformation de votre entreprise individuelle en une Sàrl ou une SA ainsi que des possibilités qui s’offrent à vous. Votre décision est prise? Il ne reste plus qu’à lui donner corps.
Étape 1: pour commencer, il convient de dresser l’inventaire de tous les objets à transférer, en prenant en compte les aspects suivants:
En principe, le bilan «normal» de fin d’exercice de votre entreprise individuelle (en général au format excel ou pdf) peut tenir lieu d’inventaire, pour autant qu’il ne remonte pas à plus de six mois. C’est la raison pour laquelle nous vous conseillons de procéder au transfert en fin d’exercice ou au plus tard fin juin, à défaut de quoi vous devrez établir un bilan supplémentaire, appelé bilan de reprise.
Étape 2: ensuite, vous signez en votre qualité de propriétaire de l’entreprise individuelle un contrat de reprise de biens avec l’entreprise (personne morale) que vous créez. Pour formuler les choses plus simplement, votre entreprise individuelle met à la disposition de votre nouvelle Sàrl ou de votre nouvelle SA tous les objets mentionnés dans l’inventaire. En contrepartie, vous recevez des parts sociales de la nouvelle Sàrl ou des actions de la nouvelle SA.
La procédure est identique en cas d’apport en nature: par le biais d’un contrat d’apport en nature, vous apportez des biens, des créances et/ou des valeurs patrimoniales au sein de la nouvelle entreprise. En contrepartie, vous recevez, en votre qualité d’apportant, des parts de la nouvelle société.
Attention: vous aurez des démarches supplémentaires à effectuer en cas de transfert de biens-fonds (p. ex. le site de l’entreprise). Un notaire devra alors dresser le contrat d’apport en nature ou de reprise de biens en la forme authentique.
À noter: si vous procédez à un apport en nature, celui-ci sera inscrit au registre du commerce et publié à la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC).
Notre conseil à propos du contrat de reprise de biens et du contrat d’apport en nature: les modèles de contrat existants vous feront gagner un temps précieux. Vous pouvez vous les procurer auprès des offices cantonaux compétents ou sur myright.ch.
Étape 3: la phase suivante vous amènera, en votre qualité de fondateur de la nouvelle Sàrl ou de la nouvelle SA, à rendre compte de l’apport en nature ou de la reprise de biens dans un rapport de fondation , et notamment:
Un spécialiste en fiducie vous aidera à établir le rapport, et un réviseur agréé en vérifiera (obligatoirement) l’exhaustivité et l’exactitude.
Étape 4: à présent, votre Sàrl ou votre SA a besoin de se doter de statuts, autrement dit des règles juridiques fondamentales en vertu desquelles elle opérera. Ces statuts doivent satisfaire à certains impératifs. Vous trouverez un modèle de statuts sur le portail PME de la Confédération.
Selon la forme de votre entreprise, vous devrez produire d’autres documents avant de pouvoir la faire inscrire au registre du commerce: actes, extraits de compte ou encore détails des créances en souffrance. Rassemblez tous vos documents dans des dossiers (numériques) pour en conserver une bonne vue d’ensemble.
Demandez de l’aide à des spécialistes comme votre fiduciaire ou sollicitez une consultation juridique sur la protection juridique des entreprises.
Étape 5: pour finir, vous devez demander l’inscription de la nouvelle entreprise au registre du commerce et, le cas échéant, la radiation de votre ancienne entreprise individuelle.
Remarque: pour ce faire, vous avez besoin de l’acte constitutif, des nouveaux statuts et éventuellement d’autres documents (voir l’étape 4).
N’oubliez pas non plus d’informer, entre autres, les assurances sociales ainsi que tous vos partenaires commerciaux de la refonte de vos activités.
Voilà! Vous avez franchi toutes les étapes et votre entreprise individuelle est bel et bien devenue une Sàrl ou une SA.
Mais attention: le choix de cette nouvelle forme juridique s’accompagne aussi de nouvelles obligations et de nouveaux défis. Le moment est donc venu d’examiner la situation de votre entreprise sur le plan des assurances.
Non, la transformation de votre entreprise individuelle en une Sàrl ou une SA n’entraîne pas d’impôts supplémentaires, pour autant que:
Si votre entreprise individuelle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, sa transformation est soumise à la procédure d’annonce, afin d’éviter à la société reprenante de devoir payer la TVA sur l’apport en nature ou la reprise de biens.
Attention: si vous avez perçu votre prestation de libre passage pour devenir indépendant et que vous fondiez peu après une Sàrl, vous devrez peut-être payer des impôts.
A. K., Zurich: je me suis établie à mon compte l’an passé en ouvrant un salon de manucure. Pour le financer, j’ai perçu ma prestation de libre passage en espèces. Quatre mois après des débuts fort prometteurs, j’ai transformé mon salon en une Sàrl afin de réduire les risques de responsabilité. Or je viens de recevoir une lettre de l’administration fiscale me donnant 30 jours pour rembourser la prestation perçue à l’institution de libre passage, au motif que je n’exercerais pas d’activité lucrative indépendante. Dans le même temps, on me menace de soumettre le versement en espèces à l’impôt, avec le reste de mes revenus, si je refuse de le restituer. Je n’y comprends rien. Je reste pourtant indépendante tout en étant propriétaire de ma Sàrl! Rien ne dit par ailleurs que l’institution de libre passage acceptera de reprendre la prestation qu’elle m’a versée. Que me conseillez-vous?
Ursula Wiedmer, Legal Services AXA: Conformément à l’art. 5, al. 1, let. b, LFLP, un assuré peut exiger le paiement en espèces de la prestation de libre passage lorsqu’il s’établit à son compte et qu’il n’est plus considéré comme un salarié au sens de la LPP. Tout salarié est soumis en matière de prévoyance professionnelle à la pratique relative à l’AVS. Dans votre cas, les conditions d’un versement en espèces étaient respectées au début puisque vous avez renoncé à votre emploi et que vous vous êtes établie à votre compte en ouvrant un salon de manucure (entreprise individuelle). Mais ce n’est plus le cas, au regard de la pratique relative à l’AVS, depuis que vous exercez votre activité dans le cadre d’une Sàrl. Vous êtes employée par la Sàrl et touchez à ce titre un salaire soumis à l’AVS. Si votre salaire AVS est supérieur à 22 680 francs (état 2025), vous êtes également assujettie à la prévoyance professionnelle obligatoire. Pour caractériser le versement en espèces d’un point de vue fiscal, il est déterminant de savoir si le contribuable a entamé une activité lucrative indépendante. Si le versement en espèces et la fondation d’une société de capitaux sont très rapprochés dans le temps, les autorités fiscales considèrent que l’intéressé n’a pas entrepris d’activité lucrative indépendante (ATF 2C_156/2010 du 7 juin 2011, consid. 4.3). Elles estiment alors que le versement en espèces est illicite, ce qui peut avoir des conséquences extrêmement fâcheuses sur le plan fiscal, comme vous avez pu le constater. Nous vous conseillons de prendre rapidement contact avec l’institution de libre passage. Celle-ci autorisera le remboursement de la prestation de libre passage dès que vous lui aurez transmis la lettre de l’administration fiscale exigeant cette restitution. D’une manière générale, nous recommandons à toutes les start-up d’attendre au minimum trois périodes fiscales avant de songer à transformer leur entreprise individuelle en une société de capitaux.
L’exemple de A. K. à Zurich en témoigne: la transformation d’une entreprise individuelle en Sàrl ou en SA nécessite de prendre en compte une multitude d’aspects. Et chaque cas doit être examiné individuellement. C’est pourquoi nous ne saurions trop vous conseiller de vous entourer de professionnels dès le début de la procédure, par exemple en faisant appel à votre fiduciaire ou en sollicitant une consultation juridique.